Histoire du barrage de Masseys

Le pool Masseys, un lieu chargé d'histoire

A l’heure où s’exercent de fortes pressions sur la migration des saumons sur le gave d’Oloron, un état des lieux historique, archéologique, technique et juridique semble nécessaire afin de montrer que les actions à mener s'inscrivent dans une démarche respectant les valeurs et les besoins de ce site.

Localisation du moulin de Navarrenx dans le reseau de moulin du bassin

L’étude historique et archéologique du moulin et de ses infrastructures afférentes a été conduite de façon à pouvoir répondre d’une part aux questions d’ordre juridiques mais aussi à dessiner les contours de ce que fut l’activité du gave à hauteur du barrage.

 

Minoterie1960

La documentation consultée a permis de comprendre de façon précise les grandes évolutions techniques du barrage et les conflits d’intérêt liés à la fois à l’exploitation de la minoterie, au flottage du bois, à la pratique de la pêche et la préservation de la faune. Ces conflits d’usage n’étaient pas certes aussi marqués sous l’Ancien Régime comme nous l’ont prouvé les précieux registres des jurats de Navarrenx, qu’à l’époque contemporaine.

Le Pool de Masseys

Pour mieux comprendre le cadre historique et juridique du moulin au Moyen-Age et sous l’Ancien Régime, nous avons tout partculièrement utilisé les fonds CC et J des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques qui complètent utilement cette étude qui, a la vocation de jeter les bases d’une réflexion plus large sur la connaissance de l’histoire des moulins des gaves notamment pour ce qui concerne les travaux menés sur ce site aujourd’hui de renommée mondiale.

Le moulin

Affieffé au Domaine royal, le moulin de Navarrenx appartenait, par privilège, à la communauté de Navarrenx. L’approvisionnement en farine de la ville dépendant de ce moulin, la communauté, à travers ses jurats et maires, portait une attention toute particulière au fonctionnement du moulin au point d’en relever de l’obsession. Cela fut notre chance car rares sont les témoignages aussi fournis, aussi fréquents et sur une aussi longue péridoe. Rien de tel alors pour pour comprendre l’ampleur des travaux menés depuis le début du XVIIe siècle sur ce moulin ballotté part le gave d’Oloron. Chaque décision et chaque intervention sur les infrastructures étaient consignées sur des registres annuels qui nous sont parvenus en très bon état.Registre

 

Le site et le moulin

 

Le moulin de Navarrenx était à l’origine construit pour assurer l’approvisionnement des habitants et de la garnison.

En 1718, sur « cette rivière est une espèce de torrent par la grande rapidité avec laquelle elle descend des montagnes des Pyrénées », il y a « un fort beau moulin à eau qui est sur la rivière il y a cinq meules qui vont continuellement ; elle s peuvent moudre toutes les vingt quatre heures 120 sacs de bleds mais les sacs du Béarn ne sont guère plus que la moitié des sacs ordinaires de France. On pourrait détourner l’eau qui fait moudre le moulin mais ce serait un très grand ouvrage et de longue haleine, je suis persuadé qu’on prendrait beaucoup plus facilement la place (de Navarrenx) que détourner la rivière. D’ailleurs, on peut couper la communication de la ville avec le moulin ».

Le moulin, possédé par les jurats (collège de notables élus par les villageois) mais relevant du Domaine, était affermé à un ou plusieurs fermiers pouvant être à la fois fermier et meunier dudit moulin. Le fermier avait obligation d’assurer la bonne gestion et le bon fonctionnement du moulin. En revanche, la communauté s’engageait à entretenir les ouvrages hydrauliques ; à vrai dire, seul un propriétaire doué d’une véritable capacité financière pouvait assurer l’entretien et les réparations d’ouvrages aussi conséquents que ceux de Navarrenx.

La première trace écrite date d’entre 1385 et 1388 date à laquelle Gaston Phébus, prince de Béarn, fait emprisonner les jurats de Navarrenx jusqu’à ce que les habitants acceptent de contribuer aux réparations de son moulin. Entre 1398 et 1406, Berduquet de Carsussan, chef des travaux du comte de Foix, et les jurats de Navarrenx vérifient les travaux réalisées par les cagots au moulin. Entre 1412 et 1415, le moulin fait l’objet de nouvelles réparations par les cagots1 probablement sur l’ordre, une nouvelle fois, de Gaston Phébus. Le 24 juillet 1507, la ville de Navarrenx prête foi et hommage à Catherine, reine de Navarre, duchesse de Nemours, comtesse de Foix, seigneur de Béarn, comtesse de Bigorre, pour le moulin de Navarrenx « fondat en lou fluby deu gabe ».

Pour ce qui concerne le XVIe siècle, d’éléments ont été retrouvés dans les archives alors qu’au même moment avait lieu la construction des fortifications (de1538 et 1547).

En 1639, le moulin de Navarrenx était dit « à farine » et produisait de la poudre à canons pour la garnison de Navarrenx. Au mois d’août 1676, les jurats nomment deux experts chargés de nommer « massons et charpentiers et forgeron de moulin » pour expertiser l’état du moulin et définir les travaux à mener.

Le 13 mai 1765, les jurats ayant demandé une expertise du moulin, deux d’entre eux et un charpentier vérifient que « pour la meule du loin, il fallait un tenon au moullé bolan, une pièce à côté dudit moullé et une autre pièce sur le devant du grand moullé ; qu’à la meule du milieu, il fallait deux pièces au grand moullé et changer les deux tenons au volants de la dite meule ; qu’à la meule de millocq (maïs), il fallait un tenon au moullé volan ; que le toit du moulin est en désordre considérable, qu’il n’est pas possible lorsqu’il pleut de se tenir au pied des meules et de ramasser la farine sans être inondé et sans que la farine n’en souffre et ne déperde beaucoup ». De plus, « les enchassures des meules causent un préjudice considérable au public en ce qu’il restait une quantité considérable de farine au coin des meules susidites par le défaut de leur jointure, enfin, le désordre du toit (…) ». Les jurats donnent alors « ordre aux sieurs Jean et Etcheverry de mettre les meules en bon ordre et exemptes de toute fraude, fermer les gouttières qui donnent sur les meules et endommagent les farines ».

Le 13 mai 1768, suite à une crue, les jurats constatent les dégâts causés aux piliers du moulin. La crue a enlevé « l’avant bec du pilier et le couronnement ».

Le 18 novembre 1768, un nouveau rapport remis aux jurats sur l’état du moulin indique : «le moulin est dans le plus grand désordre sur quoi le meunier actuel [a dit] qu’il ne trouvait ni à loger, lui, ses valets ni ses montures dont il a besoin pour l’extraction des grains, non plus que des greniers pour serrer ceux provenant des moutures ou plasser quelque peu de fourrage pour l’entretien des montures, à quoi il était indispensable de pourvoir ». A cette date, la ville de Navarrenx touchait, entre autres, 2500 à 3000 livres de revenus du moulin affieffé au roi, mais cette année, vu le prix « exorbitant des grains », elle percevait 3400 livres de rente. En contre partie de ce fermage, la communauté devait assurer l’entretien des « bâtiments du moulin, au dedans et au dehors, immeubles, ferrements, boisage, vidanges du bassin et canal, réparations des toits et écluses ». Les travaux se montaient pour 1768 à 800 livres.

Le 18 novembre 1773, Pierre Biot, fermier du moulin, déclare percevoir 5619 livres de droit de mouture. Le même jour, les jurats constatent les dégâts causés par « le gros vent et fortes pluies qui durent depuis près de trois semaines ». Cet événement a fait « apercevoir la nécessité qu’il y a de faire réparer les couvertures et gouttières du toit du moulin, l’emboîtement des meules qui se trouvaient pourris, une partie du toit de la halle et les bancs de marchands drapiers qui ne peuvent plus y tenir (…) ».

Un an après, il touchait 4900 livres. Le 27 janvier 1776, les jurats adjugent les réparations à faire à l’intérieur du moulin. Le 11 juillet de la même année, Jean Pée, maître charpentier de Navarrenx est dépêché au moulin pour expertiser les réparations à faire au moulin ; il y remarque « qu’un ancien bâtiment qui servait pour les machines à friser et qui depuis longtemps ne sert à aucun usage, formant au contraire un sujet de détérioration pour le grand corps de moulin, devrait être détruit et que l’on y trouverait une partie de smatériaux pour les réparations à faire (…) ».

Le 5 mai 1778, la couverture des bâtiments du moulin « se trouve en désordre, la charpente a besoin de réparations et les fermiers demandent aussi le changement de quelques pièces au dessous du moulin ». Le 16 novembre, le droit de moulange est de 4800 livres et un an plus tard, de 3390 livres.

Au cours de l’hiver 1779-1780, le Gave se déchaîne une nouvelle fois : la rivière déborde et l’orage éclate. Les cuves des deux meules de « millocq se trouvent démantelées et hors d’état de travailler ». Le devis des réparations s’élève à 340 livres. A cette époque, la mise en chômage du moulin pour réparations coûte 14 livres par jour non travaillé.

En mars 1783, la communauté de Navarrenx manifeste son mécontentement après avoir appris l’existence d’un projet destiné à « priver la communauté tant du moulin (…), hallage, boucherie et autres droits affieffés aux souverains du Béarn par les actes et patentes de 1506 et 1507 ». Elle dénonce « le vain prétexte qu’il avait été donné des deniers d’entrée et qu’ils ne doivent être considérés que comme des actes gagiaires ». Il est vrai qu’à l’époque, les finances publiques du royaume commençaient à être aux abois, Louis XVI et Turgot, son ministre des Finances cherchant alors à récupérer, par tous les moyens, des modes de financement efficaces.

Au printemps 1787, la crue annuelle impose des réparations « très urgentes » mais la communauté ne dispose d’assez de moyens financiers pour les assurer dans les temps. Elle s’adresse alors à l’Intendant afin qu’il nomme un expert qui procédera à l’estimation des travaux. Solliciter son aide implique une aide financière de sa part. Mais jugeant que la procédure administrative sera trop longue par rapport à l’urgence de la situation, les jurats demandent à Cazemajor, charpentier, de réparer « incessamment les cuves qui encaissent les meules, enfin de réparer tout ce qui peut donner quelque ouverture ou quelque espèce de facilité à la moindre fraude ». Mais cela ne suffit pas. Les jurats, las d’avoir à intervenir en permanence sur le moulin, proposent que « conformément à l’ancien usage, deux commissaires de quinzaine qui demeurent chargés de faire fréquemment durant le temps de leur commission, la visite dudit moulin, constater toute sorte de dégradation et de rangement dans l’encaissement des meules ». De plus, les vannes du passequand2 du moulin ont été écrasées » : les jurats ordonnent l’embauche d’ouvriers travaillant à la journée pour rétablir les vannes endommagées pour ne pas nuire au fonctionnement du moulin.

Les infrastructures hydrauliques

Le barrage de Navarrenx se présente sous la forme d’un long déversoir. Sa partie médiane est équipée d’un passelis, aujourd’hui inutilisé et d’une passe à poissons de type « amortisseurs ». Cette configuration a toujours été en évolution.

En 1665, le barrage était équipé d’un passelis et d’une nasse. Aucune autre information nous permet de situer ces deux ouvrages.

Le 9 mai 1763, les ouvrages hydrauliques sont mis en adjudication. Le 23 octobre 1764, Paul Touron et Bertrand Camy, fermiers du moulin, se voient ordonnés « de démolir les ouvrages par eux faits au passelis et à la passerellle du moulin et de les remettre dans le même état et dans la même solidité qu’ils étaient avant leur entreprise ». En 1764, une crue ouvre une brèche « considérable » dans le barrage. A cette époque, le barrage était équipé de deux passelis. Au printemps 1765, la brèche est agrandie par un nouveau débordement si bien que l’un des deux passelis « se trouvait à sec dans le temps des basses eaux » ; la flottaison se trouvait ainsi « interrompue et le moulin sans eau, toute la rivière passant par la brèche ». Le 15 juillet 1765, la réparation de la digue n’est pas achevée du fait de la décision intervenue, tardivement de « [changer] l’emplacement du passelis ». Or, l’économie de la vallée – et de Navarrenx - repose en grande partie sur le bois. Il faut donc pouvoir assurer le flottage des mats et leur passage dans le passelis au plus tôt. Les travaux sont adjugés pour la somme colossale de 14 400 livres mais « la mauvaise besogne des entrepreneurs, la lenteur de leurs opérations, leur division particulière donnent lieu à des plaintes ». Le 25 juillet, les ingénieurs de la mâture s’invitent à la réunion des jurats pour les exhorter à prendre une décision dans les plus brefs délais. Pressés de toute part, à la fois par les habitants et la garnison soucieux de pouvoir s’approvisionner en farine, et par les exploitants forestiers voulant conduire les troncs d’arbres avant la période d’étiage, les jurats se substituent aux entrepreneurs en procédant à l’embauche sur le champ, d’ « ouvriers à la journée pour travailler promptement à la fermeture de la brèche du moulin ». Le 20 août, les travaux ne sont pas encore achevés. On apprend alors que le barrage était équipé de deux passelis. Le 2 novembre, les experts nommés par les jurats rapportent « que le danger pour les radeleurs vient de ce que les eaux qui descendent par le vieux passelis de la nasse, interceptent la navigation et exposent les radeleurs à de grands dangers ». Il est alors décidé, en décembre 1765, de condamner le vieux passelis. L’affaire dure : la communauté écrit à d’Etigny, intendant de Navarre, Béarn et de la généralité d’Auch. Mis en adjudication en 1760, les travaux

En 1765, se pose la question de l’approvisionnement en matériaux pour la réparation du barrage. Si les galets de rivière sont intéressants dans certains contextes hydrauliques, seule la pierre calcaire permet de construire un barrage bâti. Au mois de mars, le sieur de Vitau proteste devant les jurats car, estime-t-il, l’extraction de matériau sur [mon] domaine a porté de graves dommages à son domaine ». L’extraction avait pour but de réparer la nasse du moulin. Le 11 mars, Joseph Duchêne, ingénieur des Ponts et Chaussées, accompagné des jurats, examinèrent les terres du sieur de Vitau : en contrepartie des dommages effectivement constatés, ils accordent 500 livres « à compte du prix des matériaux qui avaient été pris dans son fonds pour la construction d’un nouveau passelis et la réparation de la digue du moulin ».

 

Plan de situation du moulin de Navarrenx en 1774

De Vitau n’entend pas en rester là, jugeant l’estimation « modique ». Il prétend, de surcroît, que « depuis que le gave a permis de reprendre les ouvrages de la digue, il a été tiré de sa carrière, plus de 4 000 charretées de moellons dont la plus grande partie était d’une grosseur prodigieuse », les jurats rétorquant qu’ils étaient dans « le droit et usage de la communauté pour tirer sans rien payer de la carrière dont il s’agit et située dans la rive du gave, les pierres ou moellons dont on a besoin pour la réparation de la digue ». Les jurats vont jusqu’à affirmer que « le propriétaire a même déjà été plus que payé ».

Le 3 juin de la même année, les jurats constatent que « les crues des eaux successives et multipliées survenues à compter depuis le 17 du mois de mai dernier, avaient enlevé tous les matériaux qui ferment la brèche de la dite pesselle3 et au-dessous du passelis, que cette ouverture qui paraît considérable absorbait et entretenait par son torrent rapide, la majeure partie du gave, que dans l’évacuation des crues des eaux, ils craignent que le passelis ne se trouvât pas assez abondant en eau pour le flottage de la mature».

En janvier 1768, une nouvelle crue « remplit le bassin de gravier et de pierre ».

Le 14 janvier 1774, les experts constatent une brèche « qui se forme à la digue du moulin du côté de Susmiou ».

On le voit, les crues du gave d’Oloron sont d’une violence inouïe. Les infrastructures subissent chaque année les coups de boutoir de la déferlante hydraulique. Toutes les solutions techniques avancées par la communauté s’avèrent impuissantes y compris « la poutre placée au-devant du corps du moulin et qui l’embrasse par entier». Cette poutre était munie de gros pieux afin d’éviter que « lors des inondations de gros arbres ou rochers que l’eau entraîne n’endommagent le corps dudit moulin ». Même la poutre a été « coupée en deux par la dernière inondation » du 15 au 25 juin 1774. Il reste que cette pièce – élastique – est d’une grande importance4 car elle diminue les dommages portés au moulin. Au cours de cette crue, le barrage a été ouvert en plusieurs endroits.

Un premier devis est établi en septembre 1774 pour être adressé à l’Intendant. Celui-ci demande un autre devis, plus détaillé au mois d’octobre 1775. Nous ne savons pas si l’Intendance a financé la reconstruction du barrage, mais les travaux étaient achevés en juillet 1776. Les jurats vérifient alors les travaux : « il s’est trouvé que lorsque les matériaux pour cette réparation ont été portés à pied d’oeuvre, qu’une des grandes vannes du boucau du canal du moulin avait manqué, ainsi que sa jambe et s’était échappée et engagée dans le derrière, d’où l’ayant faite sortir avec le secours d’un tour et d’un câble samedi dernier, on la répara et replaça le lundi, qu’ensuite ayant fermé toutes les vannes pour mettre à sec le moulin, la même vanne se cassa et brisa entièrement de manière qu’il fallu s’occuper à l’instant à former une vanne postiche, pour pouvoir fermer le moulin et ne pas casser les ouvrages ni retarder l’entrepreneur ce qui fut exécuté (…) de manière que le chaussement dudit moulin pour le compte de la ville devra se compter du lendemain mardi 9 du courant. Qu’après le moulin a été mis à sec, le corps de ville a fait faire à Jean Pée, dit Cazemajor, maître charpentier sus dit, une reconnaissance de toutes les réparations (… )».

Au printemps 1777, les eaux du gave emportent à nouveau le passelis et endommagent la digue du moulin : « l’avant bec du passelis est totalement brisé et emporté, les radiers à l’entrée dudit passelis se trouvent endommagés et une bande de fer qui assujettissait une partie a cassé, la partie aval où il avait été ajouté un chausseron recouvert de pales planches, est aussi endommagé sur la plus grande partie de la longueur et s’y forme un sursaut d’eau qui ne peut être que très dangereux pour la flottaison ». Les jurats débloquent des fonds pour « réparer sans perte de temps et pour profiter tout le temps de la saison de l’automne », le barrage et le passelis qui risque « la ruine totale » du fait des affouillements de la partie du barrage située en aval du passelis. Le moulin relevant du Domaine, la communauté demande l’autorisation à l’intendant de « faire travailler à la journée et par économie et mettre à sec le moulin pour reconnaître les ouvrages qu’il convient d’y faire ». Si les suites données à cette demande nous sont inconnues par manque d’informations, les crues ne manquent pas de se perpétuer : en 1780, le débordement du gave et l’orage endommagent le moulin. Devant l’atermoiement de l’administration, les jurats préfèrent, une nouvelle fois, ne pas attendre « la réponse de l’Intendant sans quoi les indemnités au fermier seront considérables ». Le printemps 1781 est marqué par des pluies abondantes et « les débordements extraordinaires » du gave, entraînant l’éboulement du coteau et du chemin le long du canal d’amenée.

Le 17 mai 1782, les jurats, fatalistes, reconnaissent « qu’il y a presque toujours quelque chose à réparer au moulin, digue ou passelis malgré les dépenses énormes qui se sont faites les 25 dernières années, on espère que l’entretien dudit moulin et ses dépendances ne s’élèvera pas dorénavant à la somme de 1000 livres à moins qu’il ne parvienne quelque accident ou quelque brèche à la digue ».

Au printemps 1787, les dommages causés par les crues commandent des réparations « très urgentes » uniquement au moulin.

Le 11 novembre 1788, le sieur Lesponne, maire de Navarrenx rappelle que le nommé Biot, « fermier du moulin, s’étant présenté il y a quelques mois au corps municipal, pour lui annoncer que, pour pouvoir faire travailler quelqu’une des meules, il serait obligé d’ouvrir un trou dans la digue en bois du canal inférieur du dit moulin, qu’il s’obligeait de rétablir en bon état avant la crue des eaux pour éviter tout accident ». Or, Biot, fit ouvrir une brèche dans le canal de fuite mais ne la répara pas après avoir effectué les travaux envisagés. Cette ouverture ne cessant de croître, le maire proposa de convoquer le dit fermier pour lui dire « sa négligence à ne pas rétablir le trou (sic) ». Arrivé sur place, Biot promit de faire les réparations.

Le 24 novembre suivant, est demandé le « dégravoyement du moulin qui se trouvant embarrassé vers le milieu par une prodigieuse quantité de cailloux et de gravier, donne lieu au reflux des eaux qui engorgeant les rouets des meules, en retardent le travail et pourrait dans peu l’arrêter totalement, ce qui porterait un préjudice notable et à la communauté et au fermier ». Les jurats venus visiter le site constatent que « le dit canal était fort surchargé principalement vers le milieu de beaucoup de gravier et des cailloux et qu’en effet, cet embarras causait un refoulement des eaux, qui devait affaiblir l’exercice des rouets et travail des meules, et ralentir beaucoup cette vélocité qui leur est absolument nécessaire pour donner une bonne mouture ».

Plan de situation du moulin de Navarrenx en 1792

Sous la Révolution, le moulin est séquestré par l’Etat lors de la suppression des droits féodaux. Le moulin est cédé à la caisse des dépôts et consignations laquelle l’a revendu en 1813 par adjudication publique5 à Jean-Pierre Gastelu pour 67 500 francs . A cette date, les propriétaires du moulin ont demandé, comme le rapporte le Ministre des Travaux Publics en 1873, « qu’il fut bien expliqué que la digue barrant le gave était, comme le moulin lui-même, la propriété des acheteurs et qui fut décidé par un arrêté du conseil de Préfecture des Basses-Pyrénées le 21 octobre 1813 »6. En 1847, les crues ayant emporté une partie du barrage, le passelis, auparavant large de 8 mètres, fut mal réparé par l’usinier. Le passelis céda à nouveau »si bien qu’à partir de 1861, le flottage cessa. Aujourd’hui (1873), ce passelis est dans l’état le plus déplorable et le flottage y serait tout à fait impossible ».

Jean Masseys achète le moulin le 16 avril 1866.

Le 15 mai 1872, un arrêté préfectoral prescrit la réparation du passelis ménagé pour le flottage et la remonte du poisson dans le barrage. Dans le cas de non-exécution de l’arrêté, l’usinier serait pourvu d’office et à ses frais et son usine serait mise en chômage. Masseys refuse l’application de l’arrêté l’estimant infondé : un bras de fer s’engage entre l’administration et l’usinier qui finit par reconstruire le passelis.

En 1885, une crue détruit le barrage. L’année suivante, le barrage fut reconstruit.Cadastre de Navarrenx - localisation du moulin de Navarrenx en 1809

La minoterie

 

Au mois de janvier 1848, les sieurs Despalunque et Laruncet donnent à titre de ferme au sieur Cheminade, le moulin de Navarrenx pour la somme de 2700 francs par an et pour deux ans.

Le 30 novembre 1854, le sieur Laruncet déclare à Bernard Bonnefont-Laplace, qu’il possède « dans la commune de Navarrenx, un moulin à cinq paires de meules mis en jeu par les eaux du gave ; que ces eaux sont amassées dans le canal du moulin par une digue transversale construite depuis un temps immémorial sur le lit de la rivière».

La minoterie est l’avancée industrielle du moulin traditionnel fonctionnant à meules. Le principe de la minoterie était connu au XVIIIe siècle quand de grands établissements (sur la Baïse, l’Adour, le Ciron, le Lot...) fabriquaient le minot, aussi appelé «fleur de farine» : il s’agissait de la farine la plus fine qui présentait l’avantage de se concerver très longtemps. C’est pourquoi elle était réservée aux marins qui partaient aux colonies.

Abri de la generatrice affectee a la scierie

Au XIXe siècle, le principe reste le même mais les nouvelles machines, notamment le plansichter, modifient les modes de production dans le sens d’une amélioration de la qualité des farines et des volumes produits. De plus, le capitalisme triomphant des années 1870-1910 permet à de riches entrepreneurs de racheter de petits moulins, soit pour les agrandir et les doter d’un outil industriel grâce à des investissements conséquents, soit à les abandonner pour éviter la concurrence. La famille Masseys est de ces riches conquérants industriels qui s’écartent de la tradition familiale (travaux publics) pour se lancer dans cette nouvelle industrie pleine de promesses qu’est la minoterie.

Après avoir déplacé l’activité de production dans un nouveau bâtiment (et pour cause, cela permettait de mettre les machines hors du champ des crues), Jean Masseys construit un bâtiment flanquant le barrage : une courroie entraînée par deux poulies traversait le canal d’amenée et mettait en mouvement une scie dont l’activité est largement décrite dans les livres de comptes qui subsistent. De nouveaux travaux, vers 1899-1902, ont lieu de façon à installer des sasseurs et agrandir la capacité de stockage des grains. Peut-être est-ce aussi à cette période que la minoterie est agrandie pour installer une machine à vapeur pouvant se substituer aux roues en cas d’inondation. En 1915, les frères Masseys font construire un nouveau bâtiment cadastré (…. ?) très probablement pour abriter une installation électrique.

La minoterie disposait dans les années 1950, d’un contingent d’entre 20 à 30 000 quintaux/an. Les machines étaient mues par deux courroies lancées dans le bâtiment A et entraînant les engrenages du bâtiment B. Il apparaît que la minoterie ne se situe pas sur l’emplacement du moulin primitif, emplacement aujourd’hui occupé par le bâtiment A. La puissance de son outil de production fit de l’usine Masseys, l’une des plus importantes minoteries des Basses-Pyrénées. De trois à sept ouvriers travaillaient quotidiennement avec les frères Masseys.

Le moulin s’agençait à la fin du XIXe siècle sur trois niveaux : 

 

- au sous-sol, se trouvaient les rouleaux à cylindres et convertisseurs destinés à la mouture

- le rez-de-chaussée était affecté à l’ensilage, aux mélanges et aux ensachages.

- le 1er étage était consacré à l’ensilage et sassage

- Le 2e étage avait voué à l’ensilage et au tamisage (plansichters à double tamis).

Rouleaux a cylindres

 

 

Les grains, semoules et farines circulaient d’un étage supérieur à inférieur par gravité et étaient hissés vers les niveaux supérieurs par l’intermédiaire d’ascenseurs à godets.

Toutefois, les interventions portées par le précédent propriétaire sur le moulin (remplacement de machines venues de l’extérieur à des fins muséales) nous imposent la prudence en matière de lecture du diagramme de production.

Marié à Marie Mélion-Latapy, Jean Masseys était fils de Jean Masseys et de Marie Lubet. Le 14 mars 1897, Jean Masseys, alors « minotier », décède « en la maison (minoterie) à l’âge de 64 ans.

Au cours des années 1930, le moulin produit de l’électricité. En 1936, la DDA précise que les frères Masseys ont « acquis par prescription, aux dépens de la commune de Navarrenx, l’île qui se trouve le long du canal de fuite ». En 1971, Pierre Masseys, alors conseiller général, vendait son électricité à EDF.

1927-1930 : La prise de conscience - la construction d’une échelle à poissons

 Toutes ces raisons légitimaient « une passe ou échelle facilement franchissable par le poisson, qui lui éviterait de séjourner au pied du barrage et de se faire capturer dans le voisinage, serait d’un grand intérêt au point de vue du repeuplement ». Le type d’échelle préconisée est de type « amortisseurs » pour être établie sur le côté du mur rive droite du passelis.

Projet dechelle a poissons 1929

L’opération nécessite l’accord du propriétaire. Masseys répond favorablement mais sous conditions en mai 1929. Mais l’administration n’est guère entreprenante à finaliser le dossier et ordonner le commencement des travaux. Le conservateur écrit alors au Directeur général des Eaux et Forêts : « le gave d’Oloron a été le plus beau fleuron de notre couronne en ce qui concerne les rivières à saumon en France. Et grâce à nos efforts, il devient le plus beau du monde entier. Il importe donc de construire au plus tôt, l’échelle à poissons ». En 1930, le conservateur reconnaît que la situation est complexe : le saumon parvenait à remonter comme l’attestent les frayères situées en amont ce qui tendait à prouver que l’installation d’une échelle était discutable. De plus, faciliter la remontée du saumon impliquait de faciliter celle du barbeau, « grand destructeur de frai de saumon » et qui avait la particularité de ne pas aller au-delà du barrage de Navarrenx.. Dans ce cas, il propose de « surseoir à la construction de l’échelle à Navarrenx » !, proposition qui sera en térinée puis que ce n’est qu’en 1935 que l’échelle fut construite.

Le 25 août 1934, un additif au projet initial prévoit de placer le seuil de l’échelle à 0,30 mètres au-dessus du seuil du passelis dans l’intention de faire écouler les graviers par la partie libre du passelis. Le passelis devait alors mesurer 7,80 m avec un mètre de hauteur d’eau à l’entrée.

En 1935, les frères Masseys demandent à ce que leur propriété soit délimitée sur le gave ce que l’administration des Ponts et Chaussées qui se déclara incompétente, préférant qu’une telle question soit jugée par un tribunal civil. Le 14 décembre 1936, le conservateur des Ponts et Chaussées fournit une réponse, en décembre 1936, d’une grande clarté (bien que nous n’ayons pas retrouvé la carte évoquée) qui situe l’ouvrage de Masseys dans un contexte juridique en pleine restructuration du fait des classements et déclassements :

« le gave d’Oloron est une rivière flottable déclassée mais maintenue dans le domaine public par décret du 28 décembre 1926 ; ceci dit, malgré l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine public fluvial, certains droits privatifs ont pu y être acquis en vertu de titres exceptionnels.

(…) l’arrêté préfectoral du 21 octobre 1813 fixe les limites du moulin et de ses dépendances :

 

- le bassin de Bérérenx qui est limité par la digue jusqu’au passe-eau (de B à C) puis par la ligne B-D qui va du passe-eau B au taillis de Vitou D, enfin par la terre de Laplace et par les écluses.

- Le corps de moulin qui va de B à G en passant par les points E et F

- Il y a lieu de noter qu’il est spécifié dans l’acte qu’il existe de C à B et de B à E un franc bord de 15 m.

   Vue en plan de lechelle a poissons projet de 1929

Nous remarquerons que le long de la digue de A à C, il n’est pas fait mention de franc-bord ce qui à notre avis signifie que cette digue est sur le domaine public et constitue une servitude de prise d’eau (…) le droit de pêche ne lui appartient pas ». Il garderait néanmoins le droit de pêche sur le canal d’amenée qui, lui, ne relève pas de la réserve de pêche.

En 1944, la controverse sur le droit de pêche des frères Masseys reprend vivement à la suite d’un procès-verbal infligé par le brigadier Vital à l’encontre de Lafargue à la requête des frères Masseys. L’administration propose de faire marche arrière, en supprimant la réserve qui avait donc été créée.

En 1953, les frères Masseys sollicitent l’autorisation de faire des réparations au moulin et de porter le débit de la chute de 30 m3/sec alors que le débit dérivé actuel est de 10,900 m3/sec. Si les travaux sont effectués, l’augmentation de la puissance de l’usine n’aura lieu qu’en 19701971. En effet, au mois d’avril 1968, Masseys demanda l’autorisation d’installer de nouvelles turbines ; jusqu’alors, la minoterie était équipée de deux turbines Kaplan, l’une de 8000 l/sec l’autre de 5300 l/sec. Après avoir vérifié l’impact des nouvelles turbines sur le milieu, notamment pour ce qui concerne les tocans, le Préfet autorise par arrêté, la modification des ouvrages qui consistent notamment à remplacer les trois vannes par deux vannes de 2,50 m x 1,90 m.

En 1970, l’échelle subit des avaries suite à une crue : le radier de l’échelle subit un affouillement marqué qui oblige la pose de gabions.

Si l’administration tenta en vain de maintenir l’existence d’un passelis pour faciliter la remonte des salmonidés, la situation des salmonidés ne cessa d’empirer au cours des premières décennies du XXe siècle. En janvier 1927, l’inspecteur départemental des Eaux et Forêts soutient « la nécessité et l’urgence d’établir une réserve de pêche à Navarrenx ». Le conservateur lui répond que le décret du 15 décembre 1921 a exigé l’installation d’échelles à poissons sur les gaves du bassin de l’Adour nouvellement classés dans la catégorie visée au paragraphe 2 de l’Art. 1 de la Loi du 31 mai 1865.

Le conservateur précise que l’administration a force de loi mais que son application ne peut se faire qu’à ses frais ! C’est pourquoi elle commença par équiper en 1927, le barrage de Castetarbe avant de poursuivre par celui d’Orthez-Ville puis Navarrenx.

Les abus des pêcheurs et braconniers se multipliant, le ministre de l’Agriculture, tout en soulignant la nécessité de préserver la faune à hauteur du barrage de Navarrenx, manifeste son scepticisme, pour des raisons juridiques, quant à la réserve où aurait été interdite toute pêche pendant l’année entière que souhaitait créer le conservateur.

En mars 1929, le barrage est toujours équipé d’un passelis dans sa partie médiane ; cet ouvrage était maçonné, ménagé dans le corps de barrage et à peu près au milieu du fleuve. Il servait autrefois au « passage des tamis de bois (qui a totalement disparu sur le gave d’Oloron) ». L’administration présente alors un avant-projet d’échelle à poissons qu’elle justifie par le fait que l’on « voit des saumons au pied du barrage s’essayer pendant des journées à traverser la lame d’eau qui tombe du barrage (…) Cette circonstance est mise à profit par les pêcheurs qui capturent trop facilement le poisson (…) ». Un pêcheur abonde dans le sens de l’administration : dénonçant les conditions « lamentables dans lesquelles s’effectue la montée du saumon dans le gave d’Oloron », critiquant la digue de la minoterie Masseys qui forme un onstacle sérieux à la migration des saumons, il manifeste sa colère : « les saumons s’accumulent au pied de la digue en si grand nombre que même 100 mètres au-dessous, les pêcheurs les accrochent par les flancs, par le dos, même par la queue, au hasard du passage de leur ligne fortement plombée ». Il explique que la digue était pourvue d’une échelle qui, « bien que n’étant pas des plus parfaites, permettait à de nombreux saumons de remonter. Afin de leur offrir un passage plus facile, on a construit une deuxième échelle et fermé l’ancienne. Mais cette dernière était plus large d’environ 3 mètres alors que la nouvelle ne mesure qu’un peu plus d’un mètre s’avère totalement inefficace : les saumons ne s’aventurent plus dans la trombe d’eau qu’elle constitue ». Le conservateur prétendit même que certains pêcheurs se faisaient jusqu’à 30 000 francs par an de revenus annuels en vendant le saumon pêché à Navarrenx !

Profil de lechelle a poissons projet de 1929

Intérêt patrimonial

 En termes de patrimoine, la minoterie Masseys est tout à fait exceptionnelle et mériterait à plusieurs titres, une protection et une mise en valeur évidente :

Question juridiques

Bilan et Intêret patrimonial

En Termes de patrimoine, la minoterie de Masseys est tout à fait exceptionnelle et mériterait à plusieurs titres, une protection et une mise en valeur évidente: